Discours du 10 Mai 2013

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10 Mai 2013
Commémoration des abolitions de l’esclavage, de la traite négrière Transatlantique et de l’Océan Indien

Mesdames, Messieurs, les représentants des Institutions locales,
Mesdames, Messieurs, chers amis,

Nous sommes réunis ici à l’occasion de la commémoration du165ème anniversaire des abolitions de l’esclavage, de la traite négrière transatlantique et de l’Océan indien.

C’est aussi l’occasion de rappeler et on ne le fera jamais assez, l’ampleur de la saignée hémorragique infligée à l’Afrique noire, particulièrement aux royaumes et territoires du Golfe de guinée :
Plus de 28 millions d’hommes et de femmes, parfois avec des enfants, arrachés à leurs terres natales au cours d’une saignée qui a duré 4 siècles ; ils étaient :

Wolofs, Bambaras, Sérères, Mandingues, Cangas, Ashantis, Aguas, Tchiambas, Aradas, Nagos, Adjas, Yorubas, Haoussas, Ibos, Kongos, Bandias, tous de trois lignées principales : Soudanais, Guinéens, Bantus.

Des hommes et des femmes dans la force de l’âge, brutalement enchaînés, chosifiés et emmenés comme du bétail, au-delà des mers, pour produire le progrès et l’enrichissement de l’occident.

Cette ponction des forces vives du continent noir, cadencée avec frénésie et sans interruption dans la durée, c’est-à-dire pendant 400 ans, a cassé, j’allais dire, annihilé, le sicle générationnel et démographique des territoires affectés par l’hémorragie.

Elle a dessouché en profondeur, les fondements des valeurs vitales, la dynamique primordiale d’épanouissement et de développement du continent noir.

Cette tragédie, l’une des plus importantes de l’humanité, a tellement essoré l’Afrique noire en brouillant ses repères, qu’elle l’a dévitalisée et réussi à étouffer toutes ses ambitions.

Ainsi a commencé le projet de soumission et d’appauvrissement du continent noir par « l’anéantissement » de ses facteurs et leviers de développement : soutirer ses forces vives hier,  ses matières premières aujourd’hui, selon le même dogme, selon le même process et depuis, sans répit……….. Entre esclavage, colonisation et néo colonisation, il y a là, très distinctement, le fil conducteur d’un même nœud gordien, tissé de longue date, qui ne connaît ni usure, ni relâchement.

Mais nous voici en commémoration et nous savons que commémorer c’est s’arracher à l’ignorance, s’ouvrir à une écriture correcte de l’histoire dans la recherche de la Vérité sans laquelle rien ne peut se reconstruire, se capitaliser et orienter des perspectives d’évolution saine.

C’est cela, l’ambition que s’est fixé le Collectif161. Cette  année en installant une exposition sur la mémoire de l’esclavage à l’espace des Diversités et de la Laïcité pendant une semaine, en produisant en partenariat avec la Mairie de Toulouse que nous remercions pour son accompagnement et  son soutien, un livret pédagogique sur la même thématique, nous sommes au cœur de notre projet initié depuis 2009 et assis sur trois piliers : « Esclavage-Mémoire et Identités »

Dans cette histoire douloureuse de la traite et de l’esclavage,  il y a tant d’asymétries volontairement tues, dans les rôles comme dans les postures des acteurs,  que le sens des actes et des faits rapportés, est souvent bien loin de la vérité historique.

L’exposition dont j’ai parlée tantôt et la collection des 3 manuels, tout en bandes dessinées, qui en racontent la mémoire, réussissent pourtant, à faire émerger cet éclairage si nécessaire à la bonne compréhension de l’histoire de cette tragédie.

Ici l’image rend forcément plus explicite une asymétrie marquante dans le contexte d’une première  rencontre, entre l’expression locale d’un accueil amical,  d’une hospitalité joyeuse et le projet mercantile de possession brutale que nourrit l’expédition portugaise.

Je vous propose deux exemples pour étayer ma conviction :

1) Le premier exemple me fait revenir justement à l’exposition. J’ai été frappé par la singularité de la méprise qui entoure le premier contact entre Diego Cao, son équipage et les populations de la côte du royaume Kongo à Soyo.

Le portugais est émerveillé par ce qu’il découvre : un grouillement de « nègres » robustes au travail, un territoire prospère….il n’a qu’une pensée qu’il bredouille avec infiniment de jubilation intérieure que l’on lit sur son visage: « voilà la main d’œuvre qu’il faut pour nos plantations ;  il ya de bonnes affaires à traiter dans ce pays, vidons le de sa vaillante population et nous en serons les maîtres ».

A la cour royale où il est introduit, il répète cependant qu’il vient en ami et demande de l’aide  car à bord du bateau ils n’ont plus de vivres.

Ils sont accueillis avec joie comme on accueille tout étranger ici afin qu’il en reparte avec le meilleur souvenir ; on crie « alundu ! » parce qu’ils ont la peau blanche des albinos. ….les « alundu »

La nouvelle de leur manque de vivres se répand, il faut les ravitailler, c’est un devoir. Dans les colonnes de femmes qui apportent les produits des champs : bananes, ignames, légumes, fruits de toutes sortes….etc, elles se disent, toutes éprises  de compassion, « ces étrangers sont pauvres, ils n’ont rien à manger, ils ont faim, ce sont des « mputu » c’est-à-dire des pauvres, ils viennent du pays des pauvres » se répètent-elles.

Ce mot « mpuntu » je le connais depuis ma tendre enfance mais je n’avais jamais fait le rapprochement avec « mputu » qui signifie aussi « Europe et tous les pays européens comme  la France » Quand quelqu’un va en France, on dit là bas qu’il va à Mpuntu.

Chez les kongos en effet le 1er signe de richesse c’est la capacité à se nourrir et à nourrir sa famille. Celui qui ne le peut est appelé pauvre c’est à dire « mputu »

La bande à Diego Cao était pauvre et elle venait de pays pauvre, c’est cette perception là jamais démentie qui a été retenue dans le royaume…….Il y avait donc obligation d’assistance, selon la tradition kongo, mais comme on l’a vu les pensées des visiteurs sont tout autres. Cette grande méprise des premiers contacts s’est répétée partout en Afrique noire où chaque fois celle-ci a été trahie, par sa tradition d’hospitalité séculaire.

On sait en effet de quelle manière ce peuple kongo, a été remercié dès cette première rencontre à Soyo. Diego Cao  propose de faire visiter son bateau à ceux et celles qui avaient aidé à charger les vivres reçus gratuitement, dans le rafiot ; une fois les produits dans les cales ils y ont été enchaînés et enfermés. C’était le premier groupe d’esclaves.

Cette année le Collectif 161 a voulu mettre en lumière le courage de ces hommes et de ces femmes nés libres,  élevés dans la culture de la liberté,  qui n’ont  eu de cesse d’aspirer à cette « LIBERTE ».

Esclavagisés de force ils ont tout essayé pour échapper au statut d’esclave qu’ils n’ont jamais accepté, tant au cours des interminables voyages vers l’inconnu que lors des travaux forcés dans les plantations.

Ils sont entrés partout en résistance. Cette résistance « cultivée » organisée et exercée comme coups de boutoirs infligés aux esclavagistes, a forcé pour une part, les décisions d’affranchissement et des abolitions.

2) Mon deuxième exemple d’asymétrie dans cette histoire qui fait la part belle aux Diego Cao et leurs maîtres, ce sont les hauts faits des combattants et combattantes de la liberté.

Des hommes et des femmes remarquables, peu mis en lumière et souvent sous éteignoirs idéologiques.

Certains ont réussi, d’autres ont échoué et ont même été exécutés,  mais ils ont bravé avec ténacité, l’organisation et l’armada guerrière esclavagiste.

Quelques uns d’ailleurs ont leurs portraits et leur fiches dans l’exposition de Monsieur Serge Diantantu que nous avons eu le plaisir de présenter à Toulouse, il  y a deux semaines.

Parmi ces conquérants de la liberté, voici quelques figures :

A) Bayano – En 1552 à Panama, Bayano est appelé rei negro, le roi noir par ses compagnons. Il est d’origine mandingue de l’actuel Mali et Guinée. Une mutinerie est déclenchée au moment où le navire qui le transportait, accoste à Darien, ville du nord de la Colombie, découverte par Christophe Colomb à peine 50 ans plutôt.

Il a ensuite trouvé refuge dans la forêt proche de l’actuelle Colombie et y aurait fondé un Palenque appelé Ronconcholon à proximité du fleuve Chepo qu’on appelle souvent aussi « Rio Bayano » en son souvenir

Environ 1000 personnes y vivaient dans un Etat très organisé, administré de manière collégiale. La principale religion y était l’islam.

Capturé après trois années d’une dure poursuite, le vice roi du Pérou lui accorde un traitement spécial. Il n’est pas exécuté mais déporté en Espagne où il meurt.

 

B) Gaspard Yanga – seconde moitié du 16ème siècle au Mexique

On l’appelle aussi Nyanga. Son nom laisse supposer qu’il était originaire du royaume Kongo. Gaspard Yanga conduit en 1570 un soulèvement s’esclaves dans l’Etat de Veracruz et fonde une communauté de plus de 500 esclaves. La communauté est retranchée dans un endroit inaccessible où elle résiste pendant plus de 20 ans aux attaques de l’armée espagnole.

Après une dure bataille que Yanga remporte, il signe un traité de paix qui reconnaît une certaine autonomie à la cité qu’il dirige avec son fils Nanga.

 

C) José Antonio Aponte-1811-1812 à Cuba. José Antonio Aponte était un esclave affranchi d’origine Yoruba. Charpentier et autodidacte, il se passionne pour la révolution haïtienne et ses idéaux. Il s’inspire de Toussaint Louverture pour lancer une insurrection abolitionniste

Il organise ainsi la plus grande révolte d’esclaves de l’Île. Elle s’étend d’Holguin à Bayamo et inspirera les combattants contre le système colonial.

Aponte réussit à fédérer esclaves et affranchis dans un mouvement fédérateur où se retrouvent : Yorubas, Mandingues, Minas, Kongos et autres esclaves noirs et mulâtres en provenance de Saint Domingue et de Jamaïque..

 

D)Nanny-Jamaïque 1680-1730  Nanny est fondatrice de la ville qui porte son nom : Nanny Town. Elle est une héroïne nationale à la Jamaïque. Un mémorial y a été érigé en son souvenir.

Originaire du pays ashanti, dans l’actuel Ghana, emmenée en Jamaïque comme esclave avec ses cinq frères dont Cudjoe. Celui-ci  deviendra également un grand leader marron.

Gramy Nanny dirige alors la communauté Windward, composée d’esclaves libres. Réputée pour son sens stratégique, elle parvient à plusieurs reprises à faire échouer les attaques britanniques. Elle entreprend également des actions qui rendirent la liberté à plus de 8OO esclaves.

En 1734, un traité accorde le statut d’hommes libres aux marrons, ainsi que six cents hectares de terre.

 

E)Carlotta – Cuba 1843.  Carlotta est une esclave de l’usine à sucre de Triunvirato, dans la province de Matanza. En 1843, elle prend la tête d’une rébellion. Elle est capturée et écartelée vivante, attachée à des chevaux.

Son exemple fera des émules : à peine un an plus tard a lieu la « conspiration de l’escalier » Celle-ci est à nouveau violemment réprimée et on raconte que le poète afro cubain Placido est exécuté pour sa participation présumée en improvisant un poème à la mémoire de Carlotta.

L’exécution de Carlotta souleva une tempête qui ne retombera qu’avec l’abolition définitive de l’esclavage à Cuba le 7 octobre1886.

 

La liste des conquérants de la liberté est très fournie mais  il me faut conclure  malheureusement pour libérer la poursuite de la cérémonie. Pour cette conclusion, c’est Jeanne OdO de Saint Domingue, 1680-1797 qui va officier s’il vous plaît.

Jeanne Odo est une ancienne esclave de Saint Domingue. Le 4 juin 1793, âgée de 114 ans, elle est en France à la tête d’une délégation de la Société des citoyens de couleur et de soldats de la Légion des Américains (régiment révolutionnaire formé de gens de couleur vivant en France)

Ce jour là, Jeanne Odo remet solennellement à l’Assemblée, un drapeau tricolore très particulier, représentant trois personnages : un Noir sur la bande bleue, un Blanc sur la bande blanche, un Métis sur la bande rouge. Les trois hommes sont debout et portent une pique surmontée du bonnet de la liberté. Une devise est inscrite sur le drapeau : « Notre union fera notre force »

Ce drapeau est celui de « l’égalité de l’épiderme » ; il affirme que le principe d’égalité énoncé par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, est universel, c’est-à-dire qu’il s’applique à tous les hommes, quelle que soit la couleur de leur peau.

La Convention accepte de recevoir l’étendard qu’elle baptise « signal de l’union » union entre la révolution française et la révolution de Saint Domingue. Les députés se lèvent même pour rendre hommage à la vieille femme noire qui a pris la tête de la délégation.

Le président de séance après lui avoir donné le baiser fraternel, l’installe à sa gauche.

L’abbé Grégoire intervient alors et, faisant un parallèle avec la cérémonie de 1789 en l’honneur de l’abolition du servage, demande à la convention de faire disparaître « l’aristocratie de la peau »


Et nous, tous ici rassemblés, pour nous souvenir de ce crime contre l’humanité entré dans notre histoire commune, que pouvons-nous espérer d’autre dès aujourd’hui ?

N’est ce pas de faire aussi disparaître « l’ignorance de ces pages sombres » de cette l’histoire de l’esclavage et de la traite négrière, que celle-ci soit enfin enseignée, partagée et sauvegardée dans notre pays; c’est cela le devoir de mémoire qui nous retient ici et qu’il nous faut promouvoir.

Mesdames et Messieurs, je vous remercie.
Dominique NITOUMBI
Ce 10 Mai 2013
Jardin Raymond VI

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